1 juin 2017

Les droits du baron de Pont-Saint-Pierre

Château de Pont St Pierre

Les droits seigneuriaux
Un étonnant fatras


Avant la Révolution de 1789, une grande partie de la basse vallée de l’Andelle dépend de la baronnie de Pont-Saint-Pierre, ce qui signifie que, outre des terres, le baron possède différents droits, presque tous source de revenus.
La liste de ces droits donne une bonne idée de l'importance qu'avait le système seigneurial.
L'ouvrage de Paul Duchemin, La baronnie de Pont-Saint-Pierre, publié en 1894, permet d'en dresser une liste impressionnante, parfois étonnante.

D'abord les droits liés à la justice, qui peuvent rapporter gros : "Il est dû au baron : relief, treizième, amendes, forfaiture, aubaine, confiscation, et généralement toute et telle droiture appartenant à baronnie et haute justice selon la raison et la coutume du pays."
Traduisons :
relief et treizième : droits sur les achats et ventes de propriétés, pouvant représenter une année de revenu du bien
forfaiture : droit de reprendre un fief lors d'une transaction
aubaine : droit d'héritage en cas de décès d'un propriétaire étranger
confiscation : en cas de condamnation à mort ou à une peine perpétuelle, le seigneur s'empare des biens du condamné.

Les droits seigneuriaux - baronnie de Pont St Pierre
Ensuite les droits liés au commerce : « le seigneur de Pont-Saint-Pierre a droit de marché pour toutes denrées et marchandises [...] Il se tient le samedi aux halles du bourg de Pont Saint-Pierre. Il a aussi droit de faire tenir deux foires au dit bourg, la première le jour de Saint-Nicolas le 9 mai, la seconde le dit jour de Saint-Nicolas le 6 décembre ; auxquels marchés et foires il a droit de toute ancienneté de faire prendre tribut sur toutes les denrées, marchandises, pied fourché pour les bestiaux et autres choses mises en vente, comme il est connu par les us et coutumes anciennes, avec droit de coutume pour toutes sortes de grains qui étalent en ladite halle.»
Les droits seigneuriaux - baronnie de Pont St Pierre

C'est aussi le seigneur qui contrôle les poids et mesures :
« droit de havage[...], droit de mesurage des grains, tous ceux qui vendent aux halles de Pont Saint-Pierre doivent payer pour chaque boisseau, comme de tout temps et ancienneté, quatre deniers tournois. Ce droit est et a toujours été baillé à ferme [...], droit de poids sur toutes sortes de marchandises [...], droit de jauge, mesure particulière tant pour héritages et grains que pour le vin et autres boissons […] droit de commettre un voyer pour avoir l'œil et le regard sur les rues et chemins, de manière à ce qu'il n'y soit rien entrepris, de les faire tenir en leur largeur et bien entretenir pour la communauté du public, ainsi que de tout temps il est accoutumé, sous peine d'amende, comme aussi de mettre un mesureur pour mesurer les terres et bois de la baronnie ; d'avoir un jaugeur pour le fait des mesures des grains et du vin, et un peseur pour peser les marchandises, même de faire le prix tant des vins et autres boissons qui sont vendues en détail [...] »
Il serait à désirer qu'il y eût par tout le royaume la même coutume, la même mesure, le même poids, le même aunage et le même arpentage", lit-on dans les doléances de Pîtres, et cette demande se retrouve dans tout le royaume.
Dans Le mètre du monde, histoire de la mise au point d'un système de mesures unifié autour du mètre, et donc de la mesure du méridien, Denis Guedj présente ainsi la situation avant la Révolution : « Si les poids ne sont pas justes, c'est parce qu'ils constituent l'un des privilèges majeurs des seigneurs qui les choisissent à leur gré. Chaque prince, duc ou marquis, chaque comte ou vicomte, chaque possesseur d'un petit bout de territoire dont il est le maître veut sa propre mesure, [...] un des attributs de la féodalité le plus insupportable, principalement dans les campagnes"

Bien entendu, ces droits établissent un monopole : quand en 1747 les paroissiens de la Neuville Chant d'Oisel établissent un marché le dimanche dans leur bourg, le baron réussit à le faire interdire, en s'adressant au bailli de la haute justice, ce qui au passage montre qu'il n'est pas seul maître sur le territoire : il dépend de la justice royale.
Mais en 1765 la Neuville rouvre un marché, bientôt suivie par Pîtres et Romilly. À nouveau le baron obtient du bailli une interdiction, dont Pierre Duchemin ne nous dit pas ce qu'il advint. Il faut dire que ces trois communes tenaient marché le dimanche, le meilleur jour puisque le travail était interdit et que la population rassemblée pour la messe pouvait venir acheter et vendre.

Les droits seigneuriaux - baronnie de Pont St Pierre
Droit de banalité : le blé devait obligatoirement être porté à moudre dans le moulin du seigneur, dit pour cela moulin banal, sous peine d'amendes, voire saisie du grain, de la farine, et même du cheval ou de l'âne qui faisait le transport. Les meuniers qui acceptaient de recevoir des grains à moudre, et le faisaient à meilleur marché, encouraient les mêmes peines, d'où de nombreux procès.

Le passage de Pîtres (sur l'Andelle) rapporte aussi à la baronnie : trois deniers pour une personne à pied, neuf deniers pour un cheval et son cavalier, un sou pour un cheval ou un âne chargés, mais l'accompagnateur est gratuit, six deniers pour les bêtes non chargées. Pour les utilisateurs du bac, on pourrait considérer que ce tarif se justifie puisqu'il paie un travail, en revanche on comprend moins que chaque bœuf, vache, ou porc passant la rivière à la nage paie trois deniers, si on ne se souvient pas que l'on est dans la logique de l'Ancien régime : le seigneur, même s'il ne possède pas la terre ou l'eau selon le droit notarial, bourgeois, qui s'est peu à peu imposé dans la société, en garde la maîtrise.

Récapitulons…
brénée : obligation pour le vassal de nourrir et loger les chiens de chasse de son seigneur.
havage : prend une part des produits vendus
Minage, ou mesurage sur les mesures des grains et du vin vendus sur le marché.
rouage sur le transport du vin vendu en gros panage sur les bestiaux paissant dans les bois.
terrage sur le champ avant la récolte
pellage pour les seigneurs possédant terres et ports le long de la Seine, sur chaque muid de vin chargé ou déchargé.
péage pour le passage de pont, gué, ou tout autre obstacle naturel (dit aussi de "travers").
geôlage payé pour la nourriture du prisonnier.
grurie sur le bois et produits tirés de la forêt.
carrière sur l'extraction des pierres
échanges sur les héritages de terre.
lods & ventes sur le prix des ventes en roture.
Four sur le four banal à usage imposé.
moulin sur le moulin banal à usage imposé.
pressoir sur le pressoir banal à usage imposé.
marché sur les marchandises et les transactions
aunage : droit de mesurage à l'aune (tissus)
ban : autorisation de vente exclusive pour une marchandise donnée, et en un lieu défini.
pêche sur pêche en rivière ou en étang.
garenne : droit de chasse à petit gibier
portage sur le transport à dos d'homme dans les ports, par bête de somme ou par barque.
pontage sur le passage d'un pont.
entretien pour entretenir le bord des routes.
amarrage droit d'attacher un bateau sur une rive
pacage : mener paître ses bestiaux
glandée : taxes sur le nourrissage des porcs.


Les droits d'échangeage des cordes respectent cette logique : un bateau qui remontait la Seine, même si les chevaux qui le tiraient restaient sur une rive de l'Andelle et étaient relayés sur l'autre, devait bien faire passer la corde, et payait pour ce faire.
Le baron a aussi le droit de pallage, sur les pieux installés pour arrêter le bois avant la Seine, et le droit de pellage, sur les bateaux chargeant ou déchargeant.
Les plus gros revenus tirés de l' Andelle sont liés au commerce des bois. Le baron contrôle en effet le flottage des bois : « les marchands qui voulaient faire flotter leur bois sur l'Andelle jusqu'à la Seine pour le mener à Rouen ou à Paris étaient tenus, avant de le jeter à l'eau, de venir en demander permission au seigneur ou à ses officiers en son absence et de payer certains droits pour le flottage. »
Le seigneur de Radepont, lui, avait le droit de prendre, sur les marchands faisant flotter "son chauffage pour toutes les cheminées de son manoir, ou la somme de 50 sols, à son choix."
S'y ajoute le droit typiquement normand de brémenage sur les vins déchargés sur la rivière ou dans les dépendances de la baronnie : 15 deniers par pièce de 20 points.
En 1503 les droits de flottage avaient été baillés à ferme pour 100 livres par an. La pêche du moulin de Perpignan (à l'emplacement de la future fonderie) jusqu'au quai Gallais était affermée en 1555 pour 55 livres (sur donc la moitié de la rivière appartenant au baron), les moulins à fouler rapportent 700 livres et le droit de pêche aux poissons et du bois noyé 30 livres. (La valeur de la livre a varié au cours des siècles, mais on peut grossièrement l'estimer à une journée de travail.)

Pont-Saint-Pierre, baronnie et bourg.
Depuis le XIIIème siècle existait une baronnie de Pont-Saint-Pierre, « première baronnie de Normandie », qui passa de la famille des Hangest aux Roncherolles, et s'étendait de Radepont à Pîtres, incluant de plus La Neuville-Chant-d'Oisel.
Avant la Révolution, Pont-Saint-Pierre comprenait deux paroisses, Saint-Pierre et Saint-Nicolas. En 1809, Saint-Nicolas-de-Pont-Saint-Pierre absorbe Saint-Pierre-de-Pont-Saint-Pierre. et prend le nom de Pont-Saint-Pierre en 1905.


Bibliographie 


Paul Duchemin La baronnie de Pont-Saint-Pierre,Gisors,1894, réédition 1997, Editions Page de garde, Elbeuf
...une mine de renseignements sur la vallée de l'Andelle, 270 pages d'histoire locale

Jonathan Dewald, Pont-Saint-Pierre 1398-1789, Seigneurie, communautés villageoises et capitalisme en France au début de l'époque moderne.
Il s'agit de la thèse d'un universitaire américain, publiée aux Presses de l'Université de Californie en 1987, traduite et publiée à l'initiative des associations "Connaître la Neuville-Chant-d'oisel" et "Cercle philatélique et toutes collections de Pont-Saint-Pierre"

Profitons-en pour signaler, même si article ne l'utilise pas, un autre travail universitaire de grande importance pour notre territoire de recherches :
Maryvonne Pichon Recherches monographiques sur la Basse Vallée de l'Andelle pendant la Révolution française, 1789-1799, thèse de doctorat, et Un village haut-normand en révolution : Romilly-sur-Andelle, dans En Hommage à Claude Mazauric, pour la Révolution française, Publications de l'Université de Rouen, 1998


Michel Bienvenu